Du “lorem ipsum”, du sang, et des kitten placeholders : la grande déception du premier webdesigner de l’histoire
Dear English-speaking readers: this post is from the time this blog was still dual-language French/English. Although it doesn’t deserve to be deleted, note that all new content will be in English.
Le saviez-vous ? On retrace la naissance du lorem ipsum aux alentours du XVIe siècle…
Il était une fois…
De Frank Kovalchek, CC-BY
Il était une fois, un jeune homme ambitieux et innovant, profitant avec enthousiasme des avancées scientifiques et culturelles qu’offrait son époque, que l’on appelait “la Renaissance”.
Ce jeune homme voyait loin : depuis près d’un siècle qu’un monsieur Gutenberg avait inventé l’imprimerie, et que les gens y voyaient l’occasion de ne profiter que des textes multipliés sur du papier, lui voyait une multitude de possibilités d’apporter au monde de la beauté littéraire, par une évolution de l’aspect esthétique de la présentation de ces textes.
Il n’avait pas de nom pour cette nouvelle discipline esthétique, mais abusons un peu, et, tout-à-fait aléatoirement, appelons-la “webdesign”.
Et il dessinait, et il imaginait, jour et nuit, la beauté de cet avenir excitant, où les textes seraient non seulement disponibles, mais en plus où il seraient beaux, ô tellement beaux !
Ce jeune homme n’était sans doute pas le seul à rêver de cet avenir, mais tous ses confrères se heurtaient également à un triste mur, dû à l’étroitesse du genre humain qui le rapproche si tristement de l’animal : montrez une banane joliment peinte à un babouin, et il la mangera. De la même manière, montrez un texte joliment mis-en-page à un humain, et horreur : il le lira !
Il y avait donc urgence : il fallait, impérativement, trouver un moyen de ne pas donner envie à l’utilisateur de lire le texte…
Et un jour, au beau milieu d’une nuit d’été agitée, ce jeune homme eut l’idée de génie qui changea la face du webdesign : il inventa le Lorem Ipsum !
Initialement, il ne s’agissait de rien de plus que d’un authentique texte en latin, originellement de Cicéron, auquel il a subtilement ajouté et supprimé des mots pour le rendre volontairement inintelligible. Tout ceci pour engendrer la réaction salvatrice : “Hum ! Mais je ne saurais supporter de lire ce texte ! Puisque c’est comme ça, je vais plutôt me concentrer sur ces belles couleurs et ces belles marges ! Hah !”
Evidemment, ce coup de génie prendra un second sens, lorsque, événement inattendu, la langue latine perdra toute sa popularité, et que le texte initial en sera encore moins compréhensible pour les lecteurs d’aujourd’hui.
Un web qui se lit et qui se regarde
Aujourd’hui encore, en webdesign (le vrai, cette fois-ci), on utilise quasi-systématiquement cette bonne vieille technique pour détourner l’attention du contenu du texte, naturellement attirant (même si rien ne vaut, pour faire un nouveau design, d’avoir le véritable contenu, quand c’est possible, nous sommes d’accord).
Cette image (distribuée sous licence CC-BY par le Dominion Valley Poney Club) est un exemple flagrant de choix ridicule fait par le contributeur de ce blog lors d’une nuit d’insomnie, dans la mesure où vous aurez remarqué que ni ce blog ni ce post ne parlent d’équitation.
Seulement, les temps changent, et le contenu de notre “Toile Large du Monde” n’est plus uniquement textuel : la très grande majorité des sites modernes ont du contenu photographique (ou visuel en général) qui aura lui aussi le privilège d’être habillé d’une présentation élégante par un webdesigner.
On reprend donc tout depuis le début, le problème se pose à nouveau : mais comment diable ne pas détourner l’attention de l’utilisateur, qui ne fera que vous faire remarquer comme les quelques photos que vous avez dispersées là sont moches (parce que ce sont les seules que vous avez trouvées en Creative Commons, et qui collent vaguement au besoin, et qu’il était 2h du matin, et que la deadline approchait, et qu’on ne devrait jamais rien demander à un designer qui n’a pas eu ses 8h de sommeil) ?
Des problèmes, des problèmes… des solutions ?
C’est alors que de braves webdesigners, sortant de la forêt tels Robin des Bois brandissant son arc, ont proposé une solution qui aurait pu rendre fier Laurent, notre gentilhomme de la Renaissance !
(ah oui, pour les besoins de la narration, et en raison d’une imagination limitée, j’ai décidé de le baptiser “Mr Laurent Mipsum”)
Bref, ces véritables héros des temps modernes ont proposé simplement la plus simple des abstractions visuelles : des monochromes, n’indiquant rien d’autre que l’information utilitaire de la taille de l’image.
Mais quelle beauté !! Quelle régularité, et quelle simplicité extrême ! L’extase du vide ! La passion du néant !!
L’observateur, enfin sauvé des griffes morbides de la perte d’attention, peut enfin librement se contentrer sur le design seul…
Mais où va le monde, je vous le demande, ma pauvre Madame Michu ?
Du coup, je regarde autour de moi, et je me pose des questions…
J’ouvre les yeux, et je vois des sites qui proposent le même type d’images “placeholders”, mais avec des chatons…
Je tourne la tête, et je vois des sites qui proposent la même aberration, mais avec des images aléatoires (trouvant ainsi le moyen de faire encore plus aléatoire que le choix d’un webdesigner en mal de sommeil !), ou pire : avec des images classées par des thèmes censés recouvrir tous les besoins du webdesign moderne parmi lesquels : sport, food, nightlife, et *avalement de salive* fashion !
Et je ne peux pas retenir une pensée émue pour notre ami Laurent Mipsum, qui, du haut de son génie de l’abstraction du contenu qui a changé la face de notre monde, ne peut que se retourner dans sa tombe de voir ainsi l’humanité prendre le contre-pied de son héritage pourtant si précieux !
Et à tous ceux qui sont atterrés d’avoir lu un post si long et dramatique pour juste dire que j’aime pas les placeholders figuratifs, je vous punis avec une suite de ces ignominies. Souffrez, cruels !!
Ces images sont toutes sous une forme de licence Creative Commons, le détail des propriétaires est sur le lien “images” du site Lorem Pixum (en Flash, youhou !) et sur cette page pour le site Place Kitten. Eh oui, difficile de faire plus précis avec des images aléatoires, eh !